Petit rappel des épisodes précédents ...
En novembre 2023, après une première enquête auprès des services embarqués dans la démarche, nous avions collectivement défini une série de points à mettre en test. En plus de travailler à l’endroit du cycle budgétaire, pour questionner les outils et l’intégration de la question carbone, nous nous étions arrêtés sur une autre intention : esquisser une gouvernance pour co-porter la responsabilité écologique avec les services et les acteurs « satellites ».
Après un atelier de défrichage de plusieurs hypothèses, et pour faire atterrir ces réflexions sur un objet concret, un dispositif juridique avait retenu notre attention : celui du plan de progrès, généralement utilisé dans les marchés publics. L’idée était que pour travailler ce partage de la responsabilité écologique, nous pourrions nous approprier et détourner quelque peu ce dispositif en permettant à la collectivité et aux opérateurs culturels qu’elle soutient (associations subventionnées, délégataires de services publics ...) de s’outiller ensemble pour améliorer la prise en compte des enjeux de décarbonation tout au long de la relation partenariale. Mais comme pour toute intention, et même (surtout !) si nous avions des intuitions sur ce sujet, il reste fondamental de mener l’enquête auprès des premiers concernés …
Avant de vous raconter ce qu’a pu produire cette enquête, rebouclons un peu avec les origines de Nouvelles Mesures, et notamment avec les recherches sur les systèmes de comptabilité écologique, dits aussi « triple capital » (financier, naturel et humain). Dans les travaux portés par la Chaire de comptabilité écologique, notamment ceux de la comptabilité CARE, l’approche par l’organisation, qui met en place un pilotage et une gestion basée sur une soutenabilité forte écologique*, est complétée par une approche dite « écosystème-centrée » qui « repose sur l’idée que des systèmes de « comptes » et des méthodes spécifiquement adaptées à la mise en place et au fonctionnement d’une gouvernance collective des écosystèmes doivent être développés, pour pouvoir servir de base « comptable » et de dialogue sur les engagements de chacun pour la préservation des écosystèmes » (source). En plus de l’idée que la comptabilité est un outil de dialogue qui permet aux acteurs de se rendre des comptes, c*’e*st cette notion de gouvernance collective face à une problématique, à des usages, à des dépendances et interdépendances entre acteurs, qui nous semble inspirante ; il s’agit bien d’organiser une forme de dialogue entre organisations sur un problème commun (ici la décarbonation à une échelle territoriale), sur lequel nous avons un impact (chacun à son endroit), et dont la bonne gestion ne saurait naître d’une approche en silo, mais plutôt d’une approche systémique, complexe.
Ainsi, une responsabilité climatique territoriale ne peut uniquement reposer sur l’action des collectivités ou de politiques publiques spécifiques, mais doit résulter d’une action coordonnée avec l’ensemble des acteurs socio-économiques d’un territoire, dont les frontières administratives ou juridiques n’ont aucun sens face aux réalités physiques (sur ce point, le Parlement a du intervenir pour tenter de réguler certaines manipulations : la neutralité carbone n’a de sens qu’au niveau mondial)...A titre d’exemple dans le cas qui nous intéresse ici, on peut comprendre que le bilan carbone d’un opéra ou les actions sur la mobilité des publics d’un théâtre dépassent largement les marges de manœuvre propres à chacune de ces structures.
Ce petit détour pour se rappeler l’intention : dans le cadre de notre expérimentation centrée sur la décarbonation du secteur culturel, quelle relation voudrait-on établir entre acteurs culturels et collectivité ? Quelles sont les attentes réciproques ? Qu’est-ce qui relèverait d’une responsabilité partagée ?
Il nous faut dès lors interroger l’existant et imaginer le souhaitable : quelles relations existent aujourd’hui entre acteurs ? Quelles politiques de décarbonation, de RSE sont déjà en place et comment la collectivité les accompagne-t-elle ? Quelles sont les mesures d’éco-conditionnalité existantes (ou pressenties dans un avenir proche)? Comment sont-elles évaluées ? Comment dépasser une relation descendante entre acteurs, entre financeurs et financés ? Comment co-construire des engagements réciproques, et renforcer la cohérence globale des actions de décarbonation ?
Une enquête pour les rassembler tous
Nous avons mené une série d’entretiens auprès de 6 opérateurs culturels du territoire, préalablement identifiés par la direction de la Culture (DC), avec pour intention d’éclaircir la nature de leurs relations avec la collectivité d’une part, et leur positionnement sur les enjeux écologiques d’autres part. Si l’échantillon n’est pas représentatif, il en ressort néanmoins des axes qui serviront de base dans une seconde partie à une réflexion avec les services de la Ville.
Un premier axe porte sur la relation entre les acteurs culturels et la collectivité, qui vont sur un spectre assez large, de relations « très bonnes, régulières et spontanées » à des échanges moins aisés, voire minimaux (parfois uniquement pendant la période de re-conventionnement). Dans tous les cas, il n’y a pas de cadre spécifique de rencontre ou d’espace de dialogue, si ce n’est « au projet » et en fonction de l’occasion (la tenue d’un évènement, d’un festival, une demande particulière ponctuelle, une démarche à destination des scolaires, des questions de gestion bâtimentaire ou logistique, etc.).
Un second axe précise la nature des soutiens dont ces structures bénéficient. D’abord évidemment un soutien financier, par le biais de conventions annuelles (les conventions pluriannuelles étant désormais à la marge, seulement dans le cadre de relation pluripartites avec plusieurs niveaux de collectivités engagées). Assez classiquement, ces soutiens financiers se déclinent en subventions de fonctionnement ou « par projet », mais peuvent également se traduire par la mise à disposition de lieux avec des conventions d’occupation. Enfin, cela peut aussi prendre la forme d’un soutien en logistique, en mise à disposition de compétences (informatiques par exemple) ou de gestion des déchets.
Le troisième et dernier axe concerne la nature des actions déjà engagées par les structures, avec une tendance générale à l’éclatement des initiatives, et des impacts assez hétérogènes : labellisation d’évènements éco-responsables ; petits gestes mis en place au quotidien ; désignation de personnes référentes, groupes de travail sur la base du volontariat, ou encore engagement dans la « promo-climat » un dispositif de formation par un opérateur culturel, lui-même financé par la collectivité pour accompagner un certain nombre de structures dans la réalisation de leur bilan carbone.
Extrait des personæ issus de l’enquête